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Above the blue and black earth, we carry our emptiness where we can. Yours takes you to the other side, into the womb-like night of the world, where mystery erupts. You guide us through a dance of ancient seductions to find new magic. You whisper to the nymphs, composing enigmas with pastel scales. You plunge us back into tectonic time to caress the bark of the alma mater, to reconnect with the very first creatures and retrace evolutionary paths. Glancing at us from a distance, you quote Rilke: We are right at the start, do you see. As though before everything. With a thousand and one dreams behind us and no act.
Man has eaten the Earth, and you, in the shadow of volcanoes, laugh with the daughters of fire. Their huge lips open like two valves of a shell. Their hair spreads like alluvium, cascading over the cracked skin of the world, to the rhythm of their breasts rising and falling. How long since they laughed like that?
You descended into the bowels of the earth for us, to reveal a promise, a greeting, like the rocks of a reef emerging from the sea. You amuse yourself with potential reconciliations, shuffling the deck, combining what has been separated for too long: you recompose, weave, cut, shape, connect ancient cosmogonies to invent a new bestiary. It all spills over symmetrically: layer upon layer, multiplicities settle as sediment, ashes becoming tenderly carnivalesque.
You ask yourself: how can you evade boisterous certainties and keep a porous gaze? Creatures, things and faces morph together on the threshold of dreams. We discover them and lose them again, following the intricate map of your inner lines, the geometric undulations of symbols. Tell me, do you know that you are richer than the night?
A force washes over you - thighs spread, a fire in your belly rises up to your burnt heart, to the edge of your lips, ready to explode. You’re a secular hyphen between earth and sky - your skill merges with your wisdom of how to exist. After all, have you not tasted cosmic fruits, once forbidden? You know better than most that, at times, life hangs by a thread, caught in a crab’s claw. You’ve navigated the river that leads to the kingdom of shadows, you’ve flown over the surface of the abyss. You’ve emerged stronger, more radiant, and you cherish this secret extravagance of living. Now you shape the chisel of the Fates. Now you can wear infinity’s mask.
Tell me, do you feel the strength of this earth, under the eucalyptuses? In this land, nothing is hollow - everything is inhabited, we know how to be satisfied with the cosmos. Yet you insist on revealing the gaps, the silences, you leave room for absence (what more could you offer than your flaws?). This fury rumbles ecstatically within you. After being silenced for so long, Monique Wittig wrote that whether we like it or not, we have to constitute ourselves, to emerge as if from nowhere, be our own legends in our own lives, to make ourselves beings of flesh as abstract as characters in a book or painted images
. She concluded that at a time when heroes have gone out of fashion, we had to become “heroic in reality, epic in books.
You too, feel a spirit of conquest. You say: we reclaim our throne in the hierarchy of symbols. The sun is going to rise, inevitably, over the black earth.
Version française
Au-dessus de la terre bleue et noire, chacun porte son vide où il peut. Le tien t’amène de l’autre côté, dans la nuit utérine du monde, là où le mystère fait irruption. Tu nous guides dans le ballet des séductions anciennes pour y trouver des éclats neufs. Tu te fais paléo-entomologiste, tu chuchotes auprès des nymphes, tu composes avec des écailles pastelles des énigmes. Tu nous plonges dans un temps tectonique pour caresser l’écorce de l’alma mater, renouer avec les premières créatures, retracer les chemins de l’évolution. Tu sembles nous glisser avec une œillade, citant Rilke : « Nous sommes au début, vois-tu. Comme avant toute chose. Avec Mille et un rêves derrière nous et sans acte. ».
L’homme a mangé la Terre, et toi, à l’ombre des volcans, tu ris avec les filles de feu. Leurs grandes lèvres s’ouvrent comme les deux valves d’un coquillage. Leurs cheveux s’étalent comme des alluvions, cascadant sur la peau craquelée du monde, au rythme du soulèvement de leur poitrine. Depuis combien de temps n’avaient-elle pas ri ainsi ?
Tu es descendue pour nous dans les entrailles de la terre pour faire affleurer une promesse, un salut, comme les pierres d’un récif émergent de la mer. Tu t’amuses de réconciliations possibles, à rebattre les cartes, à mêler ce que l’on a trop séparé : tu recomposes, tu tisses, tu coupes, tu formes, tu glanes, tu rejoins des cosmogonies anciennes pour inventer un nouveau bestiaire. Tout cela déborde avec symétrie : couche après couche, le divers se sédimente, les cendres se nuancent dans de douces arlequinades.
Tu te demandes : comment échapper aux bruyantes certitudes, maintenir son regard déchiré ? Les êtres, les choses, les visages s’hybrident, au seuil du rêve. On les découvre, on les perd, suivant la complexe cartographie de tes lignes intérieures, ondulations géométriques des signes. Dis-moi, sais-tu que tu es plus riche que la nuit ?
Une puissance t’irrigue — cuisses écartées, un feu dans le ventre remonte jusqu’à ton cœur brûlé, au bord des lèvres, prêt à exploser. Tu es un tiret séculaire entre la terre et le ciel — ton savoir-faire se conjugue avec un savoir-être. Après tout, n’as-tu pas goûté des fruits cosmiques, autrefois défendus ? Tu sais mieux que les autres que la vie, parfois, ne tient qu’à un fil, pris dans la pince d’un crabe. Tu as navigué sur le fleuve qui mène au royaume des ombres, tu as survolé la surface de l’abîme. Tu en es sortie plus forte, plus irradiante, tu chéris cette secrète extravagance de vivre. Maintenant, tu façonnes le ciseau des Parques. Maintenant, tu peux porter le masque de l’infini.
Dis-moi, sens-tu la force de cette terre, sous les eucalyptus ? Dans ce pays, rien ne sonne jamais creux – tout y est habité, on sait s’y contenter du cosmos. Pourtant, tu t’attaches à enseigner les lacunes, les silences, tu laisses place à l’absence (que pouvais-tu offrir de plus grand que tes failles ?). Et cette fureur qui gronde en toi, avec enthousiasme… Monique Wittig écrivait qu’après avoir été si longtemps passées sous silence, il nous fallait « que cela plaise ou non, nous constituer nous-mêmes, sortir comme de nulle part, être nos propres légendes dans notre vie même, nous faire nous-mêmes êtres de chair aussi abstraites que des caractères de livre ou des images peintes. » Elle concluait qu’ « à l’époque où les héros sont passés de mode », il fallait devenir « héroïques la réalité, épiques dans les livres. »
Toi aussi, tu te sens un esprit de conquête. Tu affirmes : nous réclamons notre trône dans la hiérarchie des symboles. Le soleil va se lever, inéluctable, au-dessus de la terre noire.
Et le feu couve.